« Comportements de crise » adaptatifs et nouveaux comportements guidés par de nouvelles aspirations et exigences.
Dans le domaine de la communication, la crise a été un révélateur et un accélérateur des évolutions structurelles du marché, et surtout au-delà, du nouveau rapport aux marques et aux institutions qui s’est construit progressivement, mais dont on mesure depuis peu, l’ampleur de la dégradation.
Les frustrations et les déceptions des citoyens ont eu un impact direct sur la réception des messages, la disposition à les recevoir, et bien sûr au-delà, sur la consommation, les logiques de choix et d’achat. A un rapport d’affinité, voire d’autorité, se substitut un rapport de force, ou plutôt une renégociation du rapport de force.
Le multi canal, les nouvelles formes de distribution, et les nouveaux médias rebattent les cartes de l’offre et de la communication, accélère un véritable « décloisonnement du choix » intra comme inter catégories, et au final renforce l’autonomie et le pouvoir de citoyens consommateurs qui en sont conscients et ne se privent pas d’en jouir sur un mode quelque fois revendicatif. Ces nouvelles attitudes sont bien sûr fortement conditionnées par la crise et la profonde déstabilisation des pratiques et des représentations qu’elle a initiée et dont les effets s’annoncent durables. Sentiment d’érosion du pouvoir d’achat, inquiétude sur les retraites, perte de confiance, alimentent des attitudes défensives et prudentes : renforcement de l’épargne de précaution, nouvelles logiques d’information et d’arbitrage dans les comportements d’achat.
Néanmoins, si ces comportements s’expliquent en partie par une composante pragmatique de réaction / adaptation par rapport à la crise, et par une composante plus émotionnelle, de mise à distance, voire de critique des institutions et des marques, ils dépendent également de nouvelles aspirations et exigences dont le poids ne fait que s’accroitre.
Le consommateur a pris conscience de détenir un certain pouvoir sur les marques, un rôle qui légitime son statut et ouvre de nouvelles possibilités d’action et d’influence. L’ère du consommateur ou du destinataire « passif » est définitivement révolue. Il se responsabilise, adhère, ou a minima sympathise avec des mouvements de consommateurs, se forge une opinion sur internet, compare, évalue …Ce sont non seulement les paramètres de l’évaluation et du choix, mais également le contexte et le processus décisionnel qui sont remis à plat.
Une interpellation des marques et des institutions : de la justification de la « valeur ajoutée » à la redéfinition de la mission et des engagements.
On observe clairement une interpellation des institutions et des marques nationales sur la justification de leur « valeur ajoutée », voire au pire, une remise en question de leur légitimité ; une valeur ajoutée qui d’ailleurs, ne recouvre pas seulement des notions de qualité ou de rapport « qualité/prix », mais également des notions de plus en plus centrales, d’engagement éthique, de développement durable, ou d’économie solidaire, et dont il est intéressant de cerner les poids respectifs dans les changements observés. Cette interpellation est d’autant plus justifiée, que bien des MDD ont acquis leurs galons de marque « à part entière », notamment quand les cahiers des charges de leurs produits sont identiques à ceux des marques nationales, voire, dans certains cas, leur sont supérieurs…
Au-delà, c’est le statut et la mission même de l’institution et de la marque qui sont interrogés sur le fond, et qui nécessitent une redéfinition claire. La crise a suscité nombre de questions sur le rôle des acteurs politiques et économiques, et la distinction entre marque et entreprise, acteurs institutionnels et acteurs économiques n’est plus aussi nette (si elle l’a jamais été !). Les plans sociaux, les délocalisations, les politiques tarifaires, les choix d’approvisionnement et leurs impacts économiques et écologiques percutent directement les images de marque construites par la communication.
Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en cohérence les valeurs humaines et les engagements de l’entreprise en terme de responsabilité sociale, économique et écologique, avec les valeurs portées par la communication, ou que du moins, elles ne se contredisent pas ! Des exemples récents assez cuisants, démontrent clairement que ces dimensions ne sont plus secondaires et ne doivent pas se traiter dans une sorte de « back office » communicationnel.
Pourtant, ce mouvement ne constitue pas nécessairement une menace pour le rapport entre marque, institutions et citoyens « consommateurs », mais aussi une formidable opportunité de réinventer le rôle des marques et le lien aux consommateurs.
En effet, les réactions et les perceptions des marques et des institutions, recueillies dans notre observatoire, rendent compte de la force du lien passionnel qu’entretiennent les citoyens consommateurs à ces acteurs, fussent-ils parfois emprunts de déception, de défiance ou de colère, mais le plus souvent, d’émotion, de désir, de frustration et de questions ; l’indifférence ou le silence eussent été bien plus inquiétants ! Dans ce défi, la communication est appelée à jouer un rôle central pour autant qu’elle soit multi média, sans tabous, innovante et différente.
« Une communication qui ne serait pas du semblant »
Cette paraphrase du titre d’un célèbre séminaire de Lacan (« D’un discours qui ne serait pas du semblant » L.XVIII), est un rappel, en clin d’œil, à ne pas considérer que la communication devrait rendre compte de quelques vérités de la marque, toujours austères et ennuyeuses, en réponse à je ne sais quelle injonction du public.
Toute communication est du « semblant », avec ses codes rhétoriques, ses registres d’expression, ses postures de séduction ou de conviction, qui révèlent d’autres vérités bien plus précieuses et attendues : la vérité de l’expérience vécue, d’une reconnaissance ou d’une connivence, l’authenticité d’une émotion, la réalité d’un engagement… Il s’agit donc bien de ne pas « faire semblant de communiquer » mais de communiquer sur toutes les dimensions de la marque et de l’entreprise ou de l’institution, fussent elles inscrites sur des registres différents : l’humour ou le rêve dans une communication publicitaire produit, cohabitent parfaitement avec l’affirmation sur le site internet et dans le rapport annuel, d’un engagement fort de l’entreprise sur le développement durable !
Dans ce cadre, réinventer la communication, doit s’appuyer sur un préalable : la relation aux marques et plus globalement aux différents acteurs institutionnels doit être repensée en s’appuyant sur l’ensemble des liens tissés entre marque et « consommateurs citoyens », qu’ils soient traditionnels ou radicalement nouveaux. Pour appréhender le nouveau paradigme de la communication, il s’agit de dépasser la stricte vision consumériste du rapport entre citoyens « consommateurs » et marques ou institution, pour en saisir l’ensemble des dimensions.
Au-delà de la question du prix, de la qualité, du rapport qualité / prix, ce sont d’autres questions qui guident ce profond bouleversement des rapports aux marques et aux institutions. Ce rapport ne se pose plus seulement en termes de valeur ajoutée, et de justification de cette valeur ajoutée, mais également en termes éthiques, économiques, sociaux, écologiques, identitaires …et plus que jamais en termes de reconnaissance et d’expérience partagée. Notre observatoire révèle depuis 3 ans une accélération majeure de ces évolutions.
Les outils nécessaires à la redéfinition d’une stratégie de communication
Dans cette perspective, la construction d’une plateforme de communication doit intégrer en amont, une réflexion sur la plateforme de marque, nourrie par une analyse fine des consommateurs, de ses perceptions et de ses aspirations, mais aussi sur ses codes de communication. Traditionnellement, dans le cadre d’une refonte de la plateforme de marque, une étude de fond de marque met en perspective son socle identitaire, le génome de ses valeurs et de ses attributs sur les plans fonctionnels et émotionnels et définit son positionnement dans son contexte concurrentiel (généralement restreint à son univers proche ou à sa catégorie).
Il s’agit d’y adjoindre de nouvelles dimensions :
* L’analyse de la « réputation » de la marque, en croisant des entretiens ciblés online ou offline, et une analyse netnographique.
* L’identification des attentes et exigences des cibles sur toutes les dimensions de la Brand Equity, en particulier celles qui concernent les dimensions relationnelles (respect, connivence, « bienveillance », écoute…), éthiques et écologiques à travers des interviews, des focus groups, et des baromètres d’image et de satisfaction.
* L’analyse des codes et des registres de communication sur l’univers de marque, mais également plus largement sur des champs directement connexes ou concurrents (analyse sémiotique des communications sur les différents points de contact : écrans publicitaires, annonces presse, supports institutionnels, site Internet, points de vente, évènements et manifestations…)
Ce type de démarche autorise alors un déploiement informé et maîtrisé dans le temps, de la stratégie de communication définie, sur l’ensemble des médias qui doivent désormais être mobilisés. Ainsi, loin d’une remise en cause de l’attachement aux marques, ou une preuve de désamour consommé, les nouveaux rapports observés entre citoyens consommateurs et marques ou institutions, sont une invitation très claire, pour autant qu’ils sont pris en compte, à réinventer les liens sur des bases différentes ; les marques, les institutions et les politiques de communication devraient en sortir renouvelés.