Quelles méthodologies ?


Intéressons nous à présent aux méthodes proprement dites. Celles-ci se regroupent en deux grandes catégories, chacune d’elles se distinguant par la durée dont dispose chaque participant pour répondre aux questions posées.

  1. Les méthodologies dites « Synchrones ». Les échanges s’inscrivent dans un temps très limité (entre 45 minutes et 1h30). Les participants interviennent en temps réel, dans le cadre d’une réunion programmée. Les réactions sont synthétiques, immédiates et relativement spontanées.
    Les plus communes d’entre elles sont les focus groups online1. Sur le principe, ces derniers fonctionnent comme des focus groups classiques ; il s’agit de réunir entre 6 et 8 participants, pour une session de travail qui ne peut toutefois excéder 2h00. Les participants sont invités à se rendre dans une salle de discussion virtuelle (Chat Room), où ils pourront à l’heure dite échanger des messages en réaction aux questions posées par le modérateur.
    Dans ce type d’approche, le temps est compté. Les messages sont nécessairement courts, voire parfois lapidaires. En l’occurrence, cette méthodologie ne saurait nullement se substituer aux focus groups classiques (sauf cas extrême où il est impossible de réunir dans un même lieu des participants géographiquement trop dispersés). En revanche, en complément des méthodologies asynchrones (décrites plus bas), celles-ci peuvent s’avérer très utiles :
     Le fait d’autoriser une interaction immédiate entre les participants et le modérateur constitue un facteur certain d’implication et de mobilisation. Dans cette logique, pendant toute la durée du terrain, on peut mettre en place une salle de chat spécialement dédiée à l’assistance technique et aux encouragements. La présence quasi continue des modérateurs se révèlent en effet très rassurante et particulièrement motivante.
     Mais surtout, d’un point de vue méthodologique, il peut être très intéressant de rassembler ponctuellement l’ensemble des participants afin qu’ils puissent ensemble partager en direct leurs perceptions et représentations. Surtout dans des protocoles de test dont les délais sont parfois serrés, on peut envisager au bout de quelques jours une phase de chat qui permet d’accélérer notablement l’analyse des résultats.
  2. Les méthodologies dites « Asynchrones ». Les échanges s’inscrivent ici dans la durée (de quelques jours à plusieurs semaines, voire plusieurs mois). Les participants interviennent quand ils le souhaitent, au moment le plus opportun pour eux. Les réactions sont réfléchies, riches et documentées.
    Dans cette catégorie, on trouve les forums de discussion, les blogs ou encore les communautés virtuelles.
    Même si elles restent encore relativement minoritaires en France, les méthodologies asynchrones connaissent aujourd’hui un fort engouement. Sur le marché américain, leur place devient de plus en plus prépondérante (alors même que les focus groups classiques tendent à être un peu moins pratiqués). Et cette tendance ne saurait ralentir en 2010 ( Notons ici qu’il est également possible sur Internet de mener en direct des entretiens individuels, en audio et vidéo. Même si cette méthode repose sur des innovations technologiques majeures, elle n’en demeure pas moins relativement classique dans son principe. Fondamentalement, ces entretiens ne sont guère autre chose que des entretiens téléphoniques ; la présence d’une Webcam ne change pas grand-chose à l’affaire http://rockhopperresearch.com/reports/ResearchIndustryTrends2009FinalReport.pdf)

Focus sur les méthodologies asynchrones !

A quoi tient cet enthousiasme pour les méthodologies asynchrones ?
Nous retiendrons quatre points essentiels :

  1. L’adaptation aux rythmes de vie. Ces méthodologies permettent en effet de s’adapter aux rythmes de vie de chacun, et d’inscrire l’investigation dans un cadre temporel proche du vécu ordinaire (celui du quotidien, de la vie familiale ou professionnelle). Les répondants peuvent participer de chez eux, ou depuis leur bureau. Il est ainsi beaucoup plus aisé de recruter des personnes actives, voire les plus occupées d’entre elles comme les cadres dirigeants.
  2. La richesse des données recueillies. Ces méthodologies offrent aux répondants beaucoup plus d’amplitude pour réfléchir et développer leurs réponses : rédiger leur texte, publier leurs photos, etc. Le temps n’est pas compté. Les participants comme les modérateurs n’ont aucune raison de se précipiter ; il n’est pas nécessaire de couper la parole des uns pour faire parler les autres. Dans l’absolu, chacun dispose de tout le temps nécessaire, « le temps de parole » est égal pour tous ! Bien sûr, certains « parlent » plus que d’autres. Mais globalement, le niveau général d’implication tend à être assez élevé.
  3. La réduction des phénomènes d’influence. Dans l’introduction de ce white-paper, nous vous faisions part de cette absence qui marque la rupture avec les études qualitatives classiques, à savoir cette impossibilité dans laquelle se trouvent enquêteurs et enquêtés de se rencontrer physiquement. Nous avions vu dans quelle mesure cette forme d’anonymat oblige les répondants à détailler leurs messages. Ajoutons à présent que cet anonymat libère assez fortement « la parole », et qu’il favorise la franchise et la sincérité. Seul derrière son écran, le répondant est moins enclin à se soucier du regard des autres. Dans la construction de son discours, il a moins tendance à craindre les jugements de l’enquêteur ou d’un éventuel leader ; il se raconte lui-même et pour lui-même (en respectant malgré tout les règles de la bienséance : « Salut… Bonjour… >> Je crois que… Pour moi… Je pense que… C’est mon point de vue… >> Allez, à plus ! Bises… »).
  4. L’enracinement dans « la vie réelle ». Nous ne sommes pas ici en situation de laboratoire, dans une investigation ex nihilo ! Pendant toute la durée de l’étude, les répondants continuent de vivre leur vie. Grâce aux approches asynchrones, on peut les suivre au quotidien et les interroger directement sur cette vie qui est la leur. Ils peuvent ainsi consigner et commenter certains faits de la journée : leurs prises alimentaires, leur shopping, leurs loisirs, leurs pratiques culturelles (Internet, tv, journaux, magazines, radio, cinéma), etc. On peut également les inviter à prendre des photos ou réaliser des films sur leur environnement et leur style de vie : les objets qui les représentent le mieux, leurs tenues vestimentaires préférées, leurs lieux de sortie favoris, etc. On peut également leur transmettre des consignes et leur demander de rendre compte de certaines expériences : visiter tel magasin, se rendre dans tel supermarché, écouter telle émission de télé ou de radio, naviguer sur tels et tels sites Web, etc. On peut aussi leur demander de tester des produits (préalablement envoyés par colis), et de témoigner au fil de l’eau de leurs usages et logique d’appropriation. Parallèlement, l’entourage immédiat du répondant peut être mobilisé afin de recueillir les opinions communes, partagées dans son réseau de relations : le groupe des pairs, les amis, la famille, les collègues… Bref, les opportunités d’études sont nombreuses ! A nous de les inventer !
    Pour toutes ces raisons, les méthodologies asynchrones sont aujourd’hui privilégiées par les instituts d’études et leurs clients. Il en va de même chez Agalma !

Dans leur mise en oeuvre, les méthodologies asynchrones doivent cependant relever un certain nombre de défis :

  1. Le maintien de l’intérêt. En face à face, il est très rare qu’un interviewé se lève et quitte la pièce pour mettre fin à l’entretien. En asynchrone, cette fuite constitue un risque permanent qu’il s’agit de parfaitement bien maîtriser. Rédiger des questions stimulantes, toujours expliquer clairement le pourquoi du comment, valoriser toutes les réponses (quel que soit le contenu), synthétiser ce qui a été dit, faire des retours, rebondir, rester en contact (par chat ou par email)… En termes d’animation, il est primordial de construire une dynamique « communautaire » afin de mobiliser au mieux les répondants sur toute la durée du « terrain ».
  2. La motivation à répondre. Même après de nombreuses relances, par email ou par téléphone, certaines personnes ne répondent qu’à quelques questions, voire à aucune. Dans un focus group classique, il est très facile de solliciter celles et ceux dont la participation est jugée trop faible. En général, on obtient une réponse (même sommaire !) Sur le Web, la chose est beaucoup moins aisée. A tout moment, les participants sont libres de « se retirer du jeu ». La contrainte sociale est ici très faible ; il n’y a aucun risque de « perdre la face » quand on est dans cette situation d’anonymat ! De fait, le seul moyen de s’assurer à la fois du nombre de répondants et de leur bonne participation est de :
    a) Sur-recruter largement afin de pallier aux abandons potentiels.
    b) Contractualiser moralement la relation, en ne dédommageant que celles et ceux qui ont répondu à l’ensemble des thématiques abordées (un contrat moral, énoncé dès le recrutement).
  3. Le sur questionnement. Rappelez-vous ! L’investigation s’enracine dans la vie réelle. De fait, les participants ne sont pas en permanence connectés à Internet, dans l’attente de nos questions pour y répondre. Ils ont une vie aussi ! L’enjeu est d’éviter la surchauffe. Aussi convient-il de bien planifier l’investigation sur un rythme acceptable par tous, et de se tenir aux dates annoncées au moment du recrutement. Bien sûr, pour les besoins de l’étude, il peut être toujours envisagé d’accroître la durée du terrain, mais à condition d’augmenter tout autant la gratification attendue.
  4. L’individuation des réponses. Nous l’avons dit au début : sur le Web, le ressenti et l’intuition sont suspendus à la seule compréhension du texte. Il est donc plus difficile d’avoir immédiatement une lecture individuelle et monographique des corpus ainsi rassemblés, même si émergent assez vite les individualités ou les personnalités particulières. Pour résoudre techniquement ce problème d’analyse, il est possible de travailler directement sur la base de données, et de procéder à des extractions par profil ou par individus.
  5. Le volume du corpus. Lorsqu’il met en oeuvre une méthodologie asynchrone, l’analyste se heurte à une difficulté majeure : la gestion des données recueillies ! Le corpus peut en effet atteindre très vite une taille considérable. Un forum de discussion d’une semaine produit en général jusqu’à 400 pages de verbatim, enrichies de photos et d’images par chaque participant ! L’analyse d’un tel matériau demande des compétences pointues. Même appuyée par des logiciels d’analyse textuelle, elle ne peut être entreprise sérieusement que par des qualitativistes expérimentés.

Les études qualitatives online, suite

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